J’ai enfin osé demandé ce qui se passait. Courant derrière Harlan, j’ai exprimé ma soif d’aider cette famille à résoudre le problème qui se posait. Son épouse dans les bras, l’écrivain s’est retourné si vivement que j’ai sursauté :
« Il ne s’agit pas d’un problème mais d’un enlèvement. Notre fils Tod a disparu ! La nurse l’a laissé 5 minutes pour aller aux toilettes. Il dormait dans son lit à barreaux, avec son doudou Nono … Quand elle est revenu il avait disparu. Vous avez vu dans quel état nous avons trouvé Nono ? Nous avons des raisons de craindre le pire pour notre fils. Maintenant laissez-moi, je vais appeler un agent du FBI avec qui j’ai travaillé récemment sur un de mes livres.
- Vous voulez parler de The innocent ? ai-je tenté, émue de mon audace. »
Mais il est entré dans une chambre et en a refermé la porte. Je me suis assise piteusement sur un fauteuil dans le couloir. Pendant quelques minutes j’ai laissé ma pensée vagabonder, imaginant en un éclair ce qui se passerait si nous ne retrouvions pas l’enfant. En tant qu’étrangère, soudainement arrivée dans la maison, n’allait-on pas me soupçonner ? Je me voyais déjà dans une salle d’interrogatoire avec un gentil et un méchant policier. Le gentil me complimenterait sur mon élégance : « La tenue orange de condamné à mort vous sied à ravir ! » tandis que son collègue me ferait remarquer que sans maquillage je parais plus que mon âge. J’ai réprimé un sanglot et me suis levée d’un bond. La seule solution c’était de retrouver Ted… Tad… Tod. Enfin le bébé !
J’ai décidé d’aller demander de l’aide au garçon dans la bibliothèque. Vus ses goûts littéraires, il devait s’y connaître un peu en enlèvement.
Mais au moment où je descendais les marches un autre cri s’est fait entendre dans la chambre où Harlan venait de s’enfermer. Cette fois, il s’agissait d’une voix masculine. Je me suis ruée contre la porte.
Comme elle résistait, j’ai saisi un vase chinois sur une console et je l’ai propulsé sur la poignée : elle a cédé. J’ai avancé précautionneusement sur la porcelaine et je suis entrée dans la chambre. Madame Coben semblait dormir sur un lit rond très kitsch ; Harlan me dévisageait, interloqué. Alors que je m’apprêtais à lui faire mes excuses pour le vase et la porte il m’expliqua : « Je viens de recevoir un mail. Avec une photo de mon fils Tod. »
Abattu, il me laissa la place devant l’ordinateur et je regardai le mail ouvert. Un enfant, qui ressemblait beaucoup à celui que j’avais vu au rez-de-chaussée, faisait de la balançoire et il riait :
« Au moins, ai-je tenté, il a l’air heureux là où… »
Harlan se mit à pleurer doucement. Gênée, je lui tapotais dans le dos. Au bout de quelques secondes, il m’empoigna par les épaules et nicha sa tête contre ma poitrine. Je lui caressais la tête, tout en tentant de garder une distance décente. Mon chemisier se couvrait de larmes, de morve et de salive.
« Euh, écoutez Harlan, prenons les choses en main. Vous ne deviez pas appeler quelqu’un du FBI ?
- Il refuse de me prendre en ligne. On me dit qu’il est entrain de réaliser un interrogatoire.
Il sanglota de plus belle.
- C’est que ça doit être vrai… Avez-vous fait un tour dans les environs ?
- Oui ! Mon chauffeur continue.
- Ecoutez lâchez-moi, je retourne voir en bas, ai-je demandé poliment mais fermement.
Il a obtempéré, l’air un peu déçu. Je me suis aperçue dans une psyché qui trônait au pied du lit et j’avais l’air d’être passée dans une essoreuse. Mais, pour une fois, ce n’était pas mon souci principal. Je suis descendue au salon. Du fauteuil s’est élevée une voix espiègle.
« Alors, vous l’avez trouvé ?
- Et bien non ! Je venais te voir pour savoir si tu n’avais pas une idée . Ton père n’est plus en état de diriger l’enquête. Il a reçu un mail fort menaçant avec une photo de ton frère sur une balançoire.
L’enfant leva un sourcil, l’air soudain intéressé.
- Ah bon ? Qu’est-ce qu’il disait le mail ?
Je me rendis compte que je n’avais pas remarqué de texte d’accompagnement.
- Euh !
- Il ne faut négliger aucun détail, Avanie ! m’a-t-il tancée. Je parie que vous n’avez même pas regardé le nom de l’expéditeur.
- Non… Mais…
- Pffff a soupiré le freluquet.
- Je te prie de rester poli, jeune homme, ai-je tenté.
- Nous avons des choses plus importantes sur la planche a-t-il rétorqué du tac au tac. Alors qu’avez-vous comme preuves ?
- Et bien ton frère faisait la sieste quand la nurse s’est absentée… A son retour il n’était plus dans son lit….
Je réfléchissais en même temps que je parlais :
- Et son doudou était pendu dans sa chambre.
- Ah ! dit-il, c’est pour ça que ma mère a hurlé ? Bon je vais aller les aider.
Il s’est extirpé du fauteuil de mauvaise grâce, posant son livre ouvert, à cheval sur l’accoudoir.
- Merci, ai-je murmuré. Au fait tu t’appelles comment ?
- Tod…
- Quoi ? Tod ? mais c’est toi que l’on cherche partout !
Folle de joie je me suis mise à hurler :
- Il est là, il est là, je l’ai retrouvé !
Aussitôt la troupe au grand complet a pénétré dans la pièce où nous étions. Harlan et sa femme pleurait en serrant l’enfant boudeur dans leurs bras. Aglaé se mouchait dans son tablier et le chauffeur se raclait la gorge.
J’ai regardé ma montre et vu que l’heure de mon vol approchait :
« Harlan, ai-je glissé, je suis tellement heureuse de ce dénouement… Maintenant pourrions-nous comme convenu…
- Je suis désolé, Mademoiselle, me répondit, l’auteur, mais cette aventure m’a inspiré. Il faut que j’aille écrire tout de suite ! Revenez demain…
Tod se pencha vers moi :
- Je vous le déconseille, c’est quasiment tous les jours comme ça ! »
FIN