lundi 12 janvier 2009

Comment garder la ligne pendant les fêtes ?

20 avis

Ça ne loupe jamais. Chaque année je me documente. Je prends tous les fascicules de la pharmacie, je compulse frénétiquement le Vidal, j’explore grâce à Google toutes les pages Internet existant sur le sujet.

Les scientifiques sont unanimes et ils n’ont, presque, qu’un seul conseil à la bouche : « lavez-vous les mains ». C’est pourquoi, dès les premières épidémies, je passe mon temps dans la salle de bains. Je laisse mes mains sous l’eau cinq minutes et je les savonne soigneusement avec un savon antiseptique. Puis je brosse mes ongles. Je finis par ôter toute trace d’humidité avec une serviette de toilette propre. Mes mains râpent et je me ruine en crèmes hydratantes mais je me sens plus tranquille ainsi.

Ce qui est le plus difficile c’est d’imposer cette propreté draconienne à mon entourage. Aloysius hurle dorénavant dès que j’essaye de l’entraîner dans la salle de bain. Côme se fâche quand je lui demande s’il s’est bien lavé les mains avant de passer à table. Et Hermance… Et bien Hermance rit lorsque je tente de savoir quels ont été ses derniers soins hygiéniques. Après quoi, il presse d’une main sur mon crâne pour que je m’agenouille devant lui…

J’ai beau ruser, faire laver les poignées de portes par ma bonne dix fois par jour, imposer le port de gants à l’extérieur, la gastro-entérite finit toujours par arriver chez nous. Et généralement elle s’en prend à moi.

Cette année je n’y ai pas coupé. Je me suis couchée un soir en sentant de curieux gargouillis dans mon estomac. Deux heures plus tard j’étais assise sur les toilettes et je vomissais dans le poubelle…
Côme, bien sûr, n’a pas manqué de surgir. Ebouriffé, dans son pyjama rayé, il n’avait pas vu qu’il y avait de la lumière sous la porte et, dans mon état j’avais oublié de tirer le verrou. D’aucuns sans doute auraient trouvé cela drôle. Pas Côme. Il a refusé de m’adresser la parole pendant deux jours après m’avoir vue dans cet état.

Qu’importe. Je suis la seule de mon entourage, qui, le 1er janvier, pouvait se targuer d’être plus mince que le 24 décembre. Ma mère me couvait d’un œil jaloux et mon beau-père me pinçait les fesses.

Quant à Hermance, il a fini par m’entraîner dans le dressing… Il voulait vérifier que je n’avais pas maigri de partout…

Image : Monica Bellucci

lundi 8 décembre 2008

Avanie pense que ce n'est pas tromper

6 avis

Nous avons enfin pu avoir les de Grignan à déjeuner aujourd'hui. Depuis que je les avais rencontrés chez les parents de ma cousine Framboise, il m'arrivait de penser avec nostalgie à cette famille de haute lignée, à l'élégance de Mme de Grignan - à laquelle je me réfère souvent lorsque je m'habille - à la fortune du père et à l'arrogante morgue du bel Hermance. Je me souvenais de ce dernier, lycéen, évoquant Miller et Bukowski, juste pour me faire rougir. Il taquinait Framboise qu'il aimait ridiculiser mais nos rapports ont toujours été basés sur un plan plus intellectuel. J'étais donc très impatiente de le revoir aujourd'hui car je n'ai guère l'occasion d'avoir des discussions littéraires avec les membres de mon entourage.

Framboise était là, ainsi que ses parents mais la pauvre ne tenait pas debout. Je crois qu'elle souffrait d'une gastroentérite mais que la bienséance l'avait empêchée d'annuler le repas. Après tout, le premier rendez-vous avec la famille élargie, d'un couple de fiancés est très important. Je comprends qu'elle n'ait pas voulu reporter la joie de montrer son bonheur à ses cousins les plus proches.

A sa place, pourtant, j'aurais hésité. Hideuse, le maquillage dégoulinant, les chevilles tordues sur des chaussures trop hautes, elle éclatait de rire dès qu'Hermance ouvrait la bouche et fonçait aux toilettes dès qu'il lui prenait la main. Ma chère cousine n'était vraiment pas à son avantage et je voyais bien aux regards qu'il me lançait qu'Hermance était rongé par le doute. Soucieuse du bien-être de Framboise, je faisais pourtant de mon mieux pour mettre son promis à l'aise, tapotant son genou sous la table, chuchotant des phrases d'Anaïs Nin à son oreille (j'avais passé la nuit à réviser).

Il commençait à se dérider et je profitais avec délice de sa conversation d'érudit, quand Framboise s'étala sur la table et lui renversa une bouteille de vin dessus. S'ensuivit une panique générale. Le père d'Hermance rattrapa Framboise qui roula avec lui sur le sol. La mère d'Hermance s'évanouit dans les bras de Côme qui me criait :
"Appelle la bonne, appelle la bonne, il faut prêter un nouveau costume à Hermance !"

Le problème est que j'avais justement donné congé à la bonne. Il m'a fallu accompagner notre invité dans le dressing pour l'aider moi-même. Il semblait très choqué par l'incident et se contenta d'écarter les bras :
"Avanie, ma chère, il va falloir que vous m'aidiez à me déshabiller. Je ne le puis."
J'ai à peine hésité. Dans les moments graves il faut savoir prendre sur soi et laisser sa pudeur de côté. J'ai tourné le verrou de la porte pour éviter que celle d'Hermance ne se froisse si on le surprenait entrain de se changer. Je l'ai déshabillé. Ses chaussures à lacets étaient difficiles à ôter. Son slip aussi était tâché de vin et il m'a fallu l'en débarrasser. A un moment, il vacilla et s'appuya sur ma tête, des deux mains.

Je ne savais pas que cela pouvait être aussi délicieux...

dimanche 5 octobre 2008

Les mortifications d'Avanie

3 avis

La vie est parfois trop injuste. Pour une fois que je convaincs Côme de laisser ses sous-fifres remplir ses fonctions pendant que nous partons pour de longues vacances méritées, il y a un souci.

Je m'étais occupée de tout. Je n'avais pas regardé à la dépense. Côme méritait ce qui se fait de mieux. Tout cela nous a coûté des sommes astronomiques. Qui ont été décuplées lorsqu'il nous a fallu rentrer une semaine plus tôt pour cause de crise financière. Le bienfait des journées à nous prélasser a été annulé en un appel téléphonique. J'ai pleuré pendant tout le trajet du retour alors que Côme remuait sa jambe nerveusement en consultant les cours de la Bourse. Je DÉTESTE quand il fait ça ! Heureusement que Shana était là pour s'occuper d'Aloysius, j'en aurais été incapable.

Bref, il me semble que chaque fois que je suis heureuse, il m'arrive un malheur. Par exemple, il suffit que j'aille chez la manucure pour me casser un ongle après. Si je choisis de faire réaliser un brushing chez le coiffeur, il pleut, j'ai oublié mon parapluie et Karl s'est endormi au volant de la voiture. Sans parler toutes les fois où mon fils a vomi sur une robe haute-couture que je n'avais jamais portée. Je me demande ce que j'ai fait pour mériter ça !

Cette fois, bien sûr, les choses étaient un peu plus graves. A peine arrivés à l'aéroport, Côme m'a confiée à Karl venu nous attendre et s'est engouffré dans la limousine envoyée par sa société. Les jours suivants je ne l'ai pratiquement pas vu. Quand il était là il repoussait son assiette. Regardait mes nouvelles robes d'un œil qui me paraissait soupçonneux. Un jour, Maria-Magdalena m'a prise à part pour me demander - en toute franchise, depuis le temps qu'on se connait - s'il y avait un risque qu'elle se retrouve à la rue... C'est alors que j'ai réalisé que nous risquions d'être ruinés.

J'ai décidé d'être un peu raisonnable pour ne pas aggraver la situation et j'ai retardé les payes de tous mes domestiques. J'ai aussi choisi de garder pour moi les cadeaux que j'avais ramenés pour Bertille, Framboise et Léontine. Je ne voulais pas avoir l'air futile alors que le nombre de gens mourant de faim dans le monde était en augmentation constante.

J'ai vainement tenté de m'intéresser à ce qui se passait mais franchement, c'est d'un ennuyeux ! J'ai vite décroché. Finalement j'ai décidé de jouer carte sur table avec Côme. A la fin d'un repas je lui ai proposé un petit massage :
'Tu es tellement tendu mon bien-aimé, en ce moment, cela te fera du bien."

Il n'a pas refusé et je me suis glissée sous la table.

Quand son affaire fut finie, je lui ai demandé :
"Dis-moi tout, très cher, sommes-nous pauvres ? Tu sais que je t'aimerai malgré tout. Je serais même prête à revendre quelques unes de mes robes si tu le souhaites.
Il a éclaté de rire, ce qui m'a fort surprise. Il est rarement aussi spontané. Entre deux hoquets il a hurlé :
- Mais non, Avanie, nous sommes bien plus riches encore !
- Ciel, comment se fait-ce ? ai-je demandé.
- Je ne le sais pas moi-même !
- C'est presque indécent alors ?
- Totalement, a dit Côme."

Ce qu'il m'a infligé après l'est plus encore.

jeudi 17 juillet 2008

Léontine se vautre dans le luxe

7 avis

Ce matin, il m’a fallu forcer la main de Framboise afin qu’elle mette un peu d’ordre dans son souk intérieur. J’attendais en effet une visite d’importance. Elle a bien entendu commencé par me présenter diverses objections sans fondement aucun : « oui, mais j’aime mon bordel, il est à moi ce bordel, et d’ailleurs je m’y retrouve parfaitement, c’est un bordel parfaitement ordonné, si tu ranges, je ne retrouverai plus rien ».

Dans ce bordel, comme elle se plaît à le définir, j’ai retrouvé quantité ahurissante de tubes de lubrifiants, de préservatifs, dont certains étaient ouverts et tout à fait secs, de la lingerie masculine et féminine, certains autres tissus bien plus délicats à déterminer, des revues datant pour certaines de plus de deux ans (toutes intéressantes à maints égards néanmoins, pour qui s’intéresse aux modes éphémères). Rien d’organique en tout cas ; ce qui me rassura quelque peu : Framboise et Griotte sont certes fâchées avec le rangement mais elles ne le sont aucunement avec l’hygiène.

Je ne suis pas bégueule, j’ai moi-même mis la main à la pâte pour ainsi dire et effectué quelque activité de soubrette. D’ailleurs, passés quelques atermoiements bien compréhensibles, Framboise et Griotte se sont pliées de bonne grâce à mes exigences. Griotte a mis la stéréo à fond, une musique qui m’est étrangère a envahi l’appartement mais je crains de ne pas avoir trouvé cela si déplaisant. Dansant toutes trois à demi nues sur un air qui répétait inlassablement : « come on and love me now ! », nous avons tenté de remettre un peu d’ordre.

Quand le jeune homme en livrée sonna à la porte, l’appartement des filles avait retrouvé visage humain et nous étions apprêtées de manière aussi charmante et distinguée qu’il se peut, prête à l’inspecter et à le recevoir !

Je crois déjà vous en avoir informé mais je n’ai pas vocation à jouer les pique-assiettes chez Framboise, ni à vivre sur la laine du dos d’autrui. Aussi, avec le soutien parfaitement dévoué de Sampiero, j’ai organisé le transbahutage de mes effets personnels pour emménager au Crillon ce mercredi.

Je sais ce que vous allez me dire. Le Crillon, c’est surfait. Les footballeurs y célèbrent désormais leur victoire devant une foule vulgaire et hystérique et même si l’établissement est géré par Monsieur Ercoli, personne de valeur au demeurant, nous savons aussi que l’honorable famille Taittinger a cédé ce mythique établissement à une grande société américaine. A ce train là, on se demande s’ils ne vendront pas bientôt des hot dogs dans le hall d'entrée.

Toujours est-il que je tenais pour mon grand retour à ne pas manquer à la tradition. L’Hôtel de Crillon n’est pas une auberge de jeunesse. On n’y vient pas pourvu d’un sac à dos et d’une gourde. On n’y vient pas pour passer une nuit, comme s’il s’agissait de faire halte sur une aire d’autoroute ; on y vient pour s’installer. Pour y résider ! Et pour ce faire, il faut solliciter le personnel « porteur ».

Toujours grâce à Sampiero et à ces quelques recherches sur internet (il sait comme j’aime les traditions d’antan), j’ai sollicité les services de la Compagnie des Indes, entreprise presque centenaire qui assure pour vous le transport de vos bagages et vous les installe avant même votre arrivée entre les murs de votre chambre. Vos effets, votre garde-robe, vos bijoux, artifices, tout est respectueusement emballé dans de magnifiques malles de cuir et de cuivre. On se croirait aux meilleures heures de Pondichéry !

Autrefois, la Compagnie organisait les voyages de familles entières d’Europe sur la péninsule indienne, mais aussi à Ceylan et sur toute l’Indochine.

Vous pensez si j’ai inspecté le jeune homme qui me fut envoyé. Qualité du cheveu, hygiène dentaire, propreté des ongles, respect de l’uniforme, élocution. « Madame, vos effets ont été déposés dans votre chambre. A quelle heure souhaitez-vous en prendre possession ? Une voiture vous attendra à l’heure qui vous convient… » C’est tout un blabla, je suis d’accord avec vous, mais un blabla qui s’appelle luxe. Pour un peu, j’aurais soupesé son entrejambe.

Griotte, qui ne semble pas en manquer une, demanda, au jeune homme : « et à ce prix là, pas de champagne ? ». Clignant de l’œil, il me fallut rattraper son écart : « Pardonnez cette enfant, elle ne sait pas encore que le luxe n’a pas de prix ». Le jeune homme, ne sachant que répondre à cette répartie cinglante n’en perdit pas pour autant le sens de sa mission. Il n’était guère que onze heures du matin, mais il se plia à nos exigences. Il consentit également à respecter la moindre de nos injonctions. Il sortit nous approvisionner en champagne et but donc avec nous, férocement. Nous pûmes ainsi constater l’étendue parfaite de son hygiène corporelle, tout l’après-midi durant. Griotte garda le jeune homme dans sa chambre et, me voyant partir, ne parvint pas non plus à s’empêcher de déclarer, sous l’œil noir et enivré de Framboise : « Tata, il faut vraiment que vous nous visitiez plus souvent ».

Le trajet jusqu’au Crillon se passa comme dans un rêve. Le personnel ne fut pas à la hauteur de cet homme en livrée de la Compagnie des Indes mais il fut acceptable, tout du moins sur l’échelle de mon jugement. Quand j’entrai dans la chambre, dix malles majestueuses m’attendaient, elles portaient le tampon de la Compagnie, de beaux éléphants aux énormes défenses d’ivoire portant les effets de quelque richissime colon anglais et de grands sacs débordant de thé. Chaque malle était légèrement parfumée et exhalait des odeurs de jasmin, d’encens, d’épices, de chanvre, et je dois avouer que cette explosion de fragrances me fit tourner la tête.

Aussi, je ne me rendis pas compte tout de suite de la présence de Sampiero, tout à fait nu, au milieu de la pièce. Il avait donc choisi ce jour là pour me déclarer sa flamme. Au bord de l’évanouissement, j’articulai quelques mots qui le brisèrent en milliers d’éclats : « pas aujourd’hui, Sampiero, je n’ai pas arrêté de la journée ». Je disparus dans la chambre où je dormis d’un sommeil bienheureux, jusqu'au jeudi matin.

lundi 14 juillet 2008

Vilaine Avanie

6 avis

Aujourd’hui j’ai du mal à m’asseoir.

Non, formulons les choses par ordre d’importance.

J’ai décidé d’arrêter de bloguer. Du moins en famille.

Comme Mère le disait chaque fois que Papa se plaignait d’elle à table : « on ne lave pas son linge sale en public !
- Nous sommes en famille Eusebia, ironisait mon père.
- Et bien ce n’est pas mieux ! répliquait ma mère.
- Peux-tu me dire ma chère où laver ses slips sales ailleurs qu’en famille ? Chez des amis ? s’agaçait mon père. Décidément tu fais preuve d’une logique un peu particulière ma chère…
- Monsieur, s’enflammait ma mère, si vous vous occupiez des choses du ménage au lieu de courtiser les soubrettes, vous sauriez que ce sont les domestiques qui lavent notre linge sale. A l’office ! Et ta manie de dire "slips" chaque fois que tu le peux ! »

Après quoi, Mère se levait et quittait la table. Papa pouffait et m’invitait à ses côtés :
« J’ai toujours détesté cette table immense, disait-il, songeur, il faudrait des jumelles pour s’apercevoir. Bon, si nous passions directement au dessert ?»

Gênée de cette entorse à l’étiquette, je gloussais en hochant la tête.

Tout cela pour dire que je ne souhaite plus laver mes culottes sales sur ce blog familial.

Je ne vous cacherais pas que Framboise, par son attitude odieuse samedi soir, est en partie responsable de ma défection. Ma grand-tante Léontine (mon Dieu qu’elle est ridée ! Le soleil sans doute !) avec ses manières venimeuses non plus. Et Bertille qui est la plus gentille, est tellement excentrique et bruyante, je crains de ne pas vraiment la supporter.

La présence à mes côtés du charmant invité de Griotte, David, un de leur voisin si j’ai bien compris, n’a malheureusement pas compensé les réflexions mal-aimables que j’ai dû faire passer avec force Pouilly. De l’autre côté de la table, Côme me dévisageait d’un air interrogateur tandis que les autres riaient et plaisantaient à mes dépens.

J’ai tenté de calmer Framboise qui avait dû avaler quelque drogue avant notre arrivé :
« Voyons, Framboise, pourquoi m’as-tu demandé de participer à ton blog si tu n’éprouves aucune sympathie pour moi ?
- Pour te dévergonder, a-t-elle ricané bêtement. Et ça marche ! »

Après quelques vains échanges de ce type je me suis tue. Côme, sous la table caressait ma cuisse pour m’aider à me détendre.
Il est tellement gentil, mon cher mari !

C'était efficace puisque bientôt mon attention s’est focalisée sur sa main si habile. Elle glissait sous ma jupe, lentement, et je laissais de temps en temps échapper un soupir béat. De l’autre côté de la table mon époux ne laissait rien paraître de ce qui nous liait. L’air crispé, il tapotait nerveusement sur la nappe fleurie. Je lui fis un clin d’œil et il en profita pour glisser quelques doigts dans mon intimité. Je me raidis un peu et mon voisin de table me glissa à l’oreille : « Détendez-vous Avanie, voilà, comme ça, a-t-il susurré, tandis que je desserrais doucement les jambes… »

Soudain j’ai réalisé mon erreur.
J’ai manqué tomber de ma chaise et Côme a froncé les sourcils. Puis il a recommencé à tapoter la table… de ses dix doigts !

Les trois qui s’étaient immobilisés en moi n’étaient donc pas à lui… J’aurais voulu mourir sur place. David s’est alors adressé à moi, en chuchotant :
« J’aimerais vous prendre en photo avec Griotte et Framboise…
- Oui, prenez-moi ai-je répondu en haletant. »

Mais il a retiré sa main.
« Très bien, alors rendez-vous ce soir, a-t-il articulé avec une expression sadique... si vous voulez continuer ce jeu là en privé. »

Côme ne s’est pas fait prier pour rentrer avant le dessert. A la maison, c’était l’heure de la sieste.
« Côme, lui ai-je avoué en sanglotant, je ne suis pas assez bien pour toi.
Il a levé les yeux de son journal.
- Mais si très chère, vous êtes parfaite, sinon je ne vous aurais pas épousée.
J’ai insisté :
- Si vous saviez comme je suis méchante. Une très, très vilaine fille.
Mon ton de voix l’a surpris. Il a cessé de lire.

J’ai envoyé valser ses cours de la bourse. Et je me suis allongée sur ses genoux, cul nu. Ses lunettes ont dégringolé de son nez mais il n’a guère protesté.
- Fesse-moi, Côme, ai-je supplié, voilà tout ce que je mérite. »

Mais ce n’est pas tout ce que j’ai eu.

vendredi 11 juillet 2008

Toc, toc, toc

8 avis


Il fallait s’y attendre. Aucune des trois filles n’a daigné consacrer un peu de temps sur sa matinée du vendredi pour venir me prendre à l’aéroport. Avanie ne conduit plus depuis qu’elle s’est tout à fait décidée à remettre en question plus de deux millénaires de lutte féminine ; Bertille est on ne sait où ; quant à Framboise, dans son odieux langage, elle a dit quelque chose comme : « ça fait chier, Tata, t’as qu’à prendre le métro ».

Le métro ou la charrette à bœufs, c’est un peu la même chose, non ?

Tous ces gens mon Dieu, tous ces gens ; et de toutes allures, de toutes…classes ! Non, cette diversité là a été un grand choc pour moi. Je n’ai guère que 62 ans mes bambins ; on ne prend pas un dauphin qui a l’habitude de l’océan pour le jeter dans un étang d’eau douce… Quelques heures auparavant, je regardais la Grande Bleue de ma véranda corse (villa que je venais de vendre grâce au soutien merveilleux de Sampiero ; un villageois un peu bourru qui s’est enamouré de votre tante et qui s’est plié à toutes ses volontés, y compris les plus capricieuses, je dois bien l’avouer) et me voilà sans transition, plongée dans le grand bain bactérien de l’humanité. Imaginez donc !

A l’aéroport, Sampiero, le visage baigné de larmes – certaines personnes sont belles quand elles pleurent ; d’autres sont proprement dégoûtantes, comme un vieux mur qui s’écroule ; Sampiero a la larme digne, son visage carré est un masque de cire et son regard se perd dans un horizon qui n’existe pas…bon sang, quel homme ! – juste avant que je n’embarque, a insisté pour me refourguer un sanglier qu’il avait chassé le matin même. « Un sanglier, me suis-je écriée, ah, non, mon ami, vous n’allez pas mettre toute cette viande morte dans ma valise ».

- Un saucisson alors…de l’âne ?, a-t-il ajouté, en hurlant presque.
- Va pour un saucisson, mon ami, ai-je consenti.

Ce simple mot a suffi pour que des torrents de larme inondent son visage de nouveau. Quel homme. Le saucisson, Bertille le mangera bien… Sampiero, il m’oubliera…avec le temps, je deviendrai la plus belle photo jaunie de son album.

Qu'importe. Ma valise sous le bras, il m'a donc fallu partager cette chose à roulettes que l'on nomme Orlyval puis le métro. Heureusement, je n'ai pas eu à prendre le bus ou quelque chose de ce genre. Je ne sais si je dois vous le dire mais l'Orlyval ne sert pas qu'à transporter des familles qui retournent de voyage, mais aussi du personnel naviguant, des agents de comptoir encore en uniforme rentrant de leur journée de travail, et même des gens qui ne partent nulle part mais accompagnent seulement quelques gens de leur connaissance et s'en retournent. Et la 1ère classe n'existe plus... Quel monde est-ce là ?

Et je n'ai pas parlé de l'avion ; Grand Dieu, les avions ne sont plus ce qu'ils étaient ! Votre pauvre tante a dû partager sa rangée avec un petit garçon très mal élevé qui a vomi trois fois - trois fois ! - dans son sac à dos (allez lui faire comprendre que des petits sachets sont disposés à cet effet) ; croyez-vous que le personnel de l'avion eusse trouvé utile de venir aider ce pauvre enfant.

Mais il en faut davantage pour abattre une Léontine qui pourrait vous parler d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Je vous parle d'un temps où les shampooings n'étaient pas deux en un, d'un temps où le génie artistique était la norme, d'un temps où nous avions quelque respect pour notre propre langage...mais laissons cela, nous aurons l'occasion d'en reparler. C'est là précisément l'objet de ma participation à l'oeuvre familiale.

Une dernière chose. Framboise ne s'y attendait pas, mais je me suis rendue directement chez elle en sortant du métro. Ma valise saucisson sous le bras. Vous auriez vu sa tête. Elle ouvre la porte, nue comme un ver (quelle sorte d'épilation est-ce là ?), et un jeune homme passe derrière elle, pareillement, le membre apparemment encore en pleine forme.

Je n'ai pas pu m'empêcher de relever sa présence, j'en ai peur ! Le regardant...dans les yeux, j'ai dit : "quand vous en aurez fini avec Framboise, peut-être seriez vous disposé à visiter la mienne"... Bien sur, par égard pour Framboise, il a refusé. Mais je sais lire dans le regard des hommes où se nichent le désir et la passion.
Votre tante, mes enfants, malgré ses soixante-deux années reste une très jolie femme, capable de véritables prouesses. Les hommes de qualité le remarquent. Au premier coup d'oeil.

lundi 7 juillet 2008

Bertille se meuble

3 avis

Avanie a éclaté de rire quand je lui ai annoncé ça. Elle n'a pas su par où commencer :
"Ecoute, Bertille, c’est cocasse, aller à Ikéa ! Un trip suédois, je n’y aurais jamais pensé ! Il faut un début à tout ! (grincements de dents).
- Attends, Avanie, tu n'es jamais allée là-bas de ta vie ?
- Des meubles bon marché en pâte à bois, comme dans les films de Bergman... Je ne sais pas, la nurse est en congé, s'esquiva-t-elle...
- Aucun problème ! Pas besoin de nurse ! Il y a des garderies gratuites là bas ! Animés par des grands blonds tennismen, des bandeaux dans les cheveux ! Et des superbes piscines à balle, dis-je, dévisageant Aloysius, ce petit singe muet qui me tire la langue, avec peut-être des seringues de drogue dedans, tu pourras refaire votre vie après, Avanie !"

Victoire.

Karl nous conduisit dans la zone industrielle. Je vis Avanie à mes côtés se recroqueviller dans son siège.
"Va-t-il y avoir des émeutes, demande-elle ? Ne peut-on pas aller à Roche-Bobois, pour faire simple, même Habitat pourquoi pas ?"

Samedi après midi, il y avait le monde entier agglutiné chez les rois du contre-plaqué. Ce n'était pas possible, autant de monde, les gens doivent se sous-traiter pour être aussi nombreux ! Ils emploient des figurants !
"On se croirait dans le RER, répétait fébrilement Avanie.
- Mais vous prenez le RER, ma chère, demandais-je malicieusement ?
- Bien sûr que non, et en voici la raison évidente !"

A l'entrée, il y avait des petits appartements de démonstration, pour expliquer comment on peut se meubler du sol au plafond en IKEA. Des 80 mètres carrés jusqu'au studio de 5, avec un superbe lit-frigo-penderie-douche-fenêtre nommé Inkgijst Börkj (ce qui veut dire "Papillon de lumière" en suédois), et qui se prononce pareil si on passe le disque à l'envers.

Je répétais à Van, la tirant par la manche :
"regarde ! Comme ça doit être génial de vivre là dedans ! Le monde parfait ! Dis-donc, c'est surréaliste comme c'est bien rangé, aussi propre, c'est vraiment un truc qu'on voit jamais dans la vraie vie !"
Si, chez Avanie, en fait.

Elle n'a pas voulu laisser Al dans la piscine à balle. En fait, c'était plutôt une piscine à mioches. Il y en avait partout, en chaussettes qui puent, à se sauter à pieds joints sur la colonne vertébrale. "Comment pourrais-je laisser mon enfant dans ce marasme humain ?" Elle garda donc Aloysius contre elle, se frayant un chemin parmi la foule.

"Bertille, pourquoi autant de monde ? C'est incroyable, ils n'aiment tout de même pas vivre comme ça ?
- Chère Avanie, ce sont les soldes ! Les gens veulent faire des bonnes affaires !
- Mais pourquoi ne payent-ils pas plus cher, pour être plus tranquille, tout simplement ?"

J'ai levé les yeux au ciel sans rien ajouter. Je n'allais pas la contrarier. On ne sait jamais ce qui peut se produire, une fois à la caisse. Une CB qui ne marche pas, etc.

En bref :

Les cadres : accrochés au mur, les cadres contiennent de grandes images avec des couleurs toutes en noir et blanc, des visions de ports nordiques au matin, des montagnes plates, bref, des images qui donnent envie de tapisser sa chambre et de devenir social-démocrate.

L'objet super pas cher : il s'agit d'un objet banal (éponge, casserole, pince à linge, planche à découper) avec un design complètement dingue (en forme de pieuvre, de twingo, ou d'huitre de l'espace) et tellement pas cher qu'on en veut des centaines !
Exemple : "Regarde Avanie, quelle économie ! Une casserole, ça coute 50 euros, et ici, elle est à 1 euro ! Du coup, j'en ai pris cinquante !!!!"

Billy : L'étagère classique. Académique. Les romains avaient déjà les mêmes dans leurs temples. Le must du meuble d'étudiant fauché ou de l'ex-étudiant toujours fauché. Idéal pour empiler ma collection de "Femme inactuelle".

Les matelas Ikéa : pour prouver que c'est solide, ils ont inventé des robots qui se couchent et se lève toute la journée dessus, vingt fois par minutes. Du coup, les matelas sont solides, mais les robots fatigués.

La chambre d'enfant : le siège bleu, suspendu au plafond ! C'est tellement cromignon, le petit morpion qui se balance tel un pierrot lunaire, avec le plafond qui cède et le voisin du dessus qui tombe dans la chambre !

Sinon, j'ai chargé le chariot avec mon futur appartement dedans. On aurait dit un char d'assaut. Arrivée à la caisse, ma carte bancaire n'est pas passée. J'ai regardé Avanie avec une expression de chaton triste, d'un air glacial elle a sorti sa Siouper Visa, je lui ai dit :
"Je te rembourse ce soir ! Hein ? Avec un chèque (en bois) (en contre-plaqué) !"

De retour vers Karl qui s'était endormi après cinq heures dans la voiture, Avanie lui dit, pour se calmer les nerfs : "Karl, vous vous prenez pour un routier à dormir de la sorte ? Est-ce que je suis en train de chômer, moi ?"